Le raid de Djebe et de Subotaï (1220-1223)

En 1220, l'Etat du Charisme s'effondre devant l'invasion mongole. Mohammed, le Chah du Charisme ayant pris la fuite, Gengis Khan lance aussitôt deux tümens (20000 cavaliers), sous le commandement de Djebe et de Subotaï à sa poursuite.

Ce corps expéditionnaire qui ne regroupait qu'un dixième environ de l'effectif total de l'armée de Gengis Khan allait finalement réaliser le plus fantastique raid de cavalerie de l'Histoire, accumulant les victoires pendant trois ans sur un périple de 8000 kilomètres en réalisant au passage ce qu'aucun voyageur n'avait fait jusqu'alors, le tour de la Mer Caspienne.

Subotaï et Djebe

Gengis Khan n'avait pas choisi Subotaï et Djebe au hasard. Il s'agissait en fait en effet de deux de ses meilleurs généraux.

Djebe, de son vrai nom Djirko'adaï, était à l'origine un adversaire de Gengis Khan. Lors d'une bataille entre tribus mongoles rivales, il aurait blessé d'une flèche le cheval de bataille de Temüdjin, le futur Gengis Khan. Par la suite cependant, il se serait rallié à lui. « Pour toi, aurait-il alors déclaré à son nouveau maître, je traverserai les torrents les plus profonds et je fendrai les rochers. » C'est alors aussi, qu'en souvenir de ses exploits passés, il aurait reçu de Gengis Khan le surnom de Djebe, la flèche. Par la suite il devait avoir mainte occasion de prouver sa loyauté. En 1202, après une victoire sur les tatars, c'est Djebe qui est chargé de réprimer l'indiscipline de deux parents de Gengis Khan accusés de s'être livrés au pillage pour leur propre compte. En 1204, il est l'un des quatre chiens nourris de chair humaine que Gengis Khan charge de diriger l'armée dans une bataille décisive pour le contrôle de la Mongolie. En 1212-1213, Djebe mène une campagne militaire en Mandchourie contre les souverains Kin de Chine du Nord. En 1218, Djebe envahit la Kashgarie pour s'emparer de son souverain Kutchlug, un vieil ennemi de Gengis Khan. Il en profite pour envoyer 1000 chevaux à Gengis Khan exactement semblables à celui sur lequel il avait autrefois tiré.

Selon René Grousset, Subotaï mérite le titre de « meilleur stratège de l'épopée mongole ». Selon l'Histoire Secrète des Mongols, il aurait fait serment à Gengis Khan « de veiller sur ses biens avec la vigilance du rat, de les accroître avec la diligence de la corneille, de protéger son maître comme une couverture ou une portière de feutre. » En 1204, il est en tout cas avec Djebe l'un des quatre chiens nourris de chair humaine chargés de diriger l'armée dans une bataille décisive pour le contrôle de la Mongolie. En 1217, Subotaï est chargé de diriger une campagne militaire pour exterminer la tribu mongole des Merkits. Par la suite, il semble avoir joué un grand rôle dans la conquête du Charisme.

raid de Djebe et de Subotaļ

A la poursuite de Mohammed

Après la prise et la destruction de Boukhara en février 1220 et de Samarkand le mois suivant, et malgré la résistance de sa capitale Urgendj jusqu'en avril 1221, le souverain du Charisme, Aladin Mohammed, abandonne son armée et prend la fuite. Il se dirige d'abord vers le sud-ouest, vers la Perse.

Après avoir traversé l'Amou Darya, fleuve d'une largeur d'au moins 500 m et ce, sans disposer ni de pont ni de bateaux, les cavaliers de Djebe et de Subotaï en profitent pour recevoir la soumission des villes de Balkh et de Nichapour. Les magistrats de Thous ayant refusé cette soumission, leur ville est prise d'assaut et sa population massacrée. Pour retrouver plus facilement la piste du fugitif, Djebe et Subotaï se séparent. Après avoir saccagé quelques villes chacun de leur côté, ils se rejoignent devant Rey, à 8 km de l'actuelle Téhéran. Après avoir détruit Rey, les Mongols retrouvent enfin la trace de Mohammed. La terreur inspirée par les Mongols est à ce moment telle qu'une armée persane de 100000 hommes n'entre pas en action. Il faut dire que par exemple à Qazwin, à l'ouest de Rey, ils n'auraient pas massacré moins de 40000 personnes. Quant au fugitif, renonçant à diriger une armée de 30000 hommes rassemblée par son fils au nord de Rey, il préfère prendre le chemin de Bagdad. Arrivé à Hamadan, et alors que plusieurs membres de sa suite ont été rattrapés par les Mongols, il cherche son salut en changeant brutalement de direction. Malgré cette manoeuvre, et non sans avoir lourdement rançonné la population de Hamadan, Djebe et Subotaï ne tardent pas à retrouver sa trace. Arrivé au bord de la Caspienne, Mohammed n'a que le temps de prendre le large dans une embarcation pour échapper aux éclaireurs Mongols. Il meurt ensuite d'épuisement ou de pneumonie sur un îlot n'échappant ainsi à la capture que par la mort (décembre 1220 ou janvier 1221).

La campagne de Caspienne et de Géorgie

Restés en contact avec Gengis Khan par des messagers, et ils ont alors déjà parcouru 1600 km, Djebe et Subotaï reçoivent alors une nouvelle mission. Mohammed est certes mort mais les conquêtes ne sont pas terminées pour autant. C'est pourquoi, en vue de préparer les invasions à venir, les hommes de Djebe et de Subotaï devront poursuivre leur expédition en vue de recueillir des informations. Par ailleurs, il s'agit de préparer psychologiquement les peuples à la venue des Mongols en leur inspirant la terreur.

Les deux tümens de Djebe et de Subotaï prirent donc la direction de l'Azerbaïdjan. Le gouverneur de Tabriz se soumit aussitôt et apporta une forte contribution, en argent, en chevaux et en marchandises. Après une pause de quelques semaines au bord de la mer Caspienne, près de l'embouchure de l'Araxe, les cavaliers pénétrèrent en Géorgie. Pour protéger Tiflis le roi Georges III lève une armée qui est écrasée par les Mongols en février 1221.

Ensuite, pour faire un peu de butin, l'armée repart vers le sud. Le 30 mars Maragha, cité d'Azerbaïdjan, est anéantie et sa population massacrée. Hamadan qui avait juste été rançonnée quelques mois plutôt est attaquée. Malgré une résistance acharnée la ville est incendiée et sa population égorgée.

A l'automne 1221, Djebe et Subotaï repartent à l'assaut de la Géorgie. Devant la détermination des Géorgiens qui se sont ressaisis depuis leur précédente défaite, les Mongols décident de les attirer dans un piège. En feignant la fuite, Subotaï attire l'excellente cavalerie géorgienne dans une embuscade tendue par Djebe. Cette nouvelle défaite amène les Géorgiens à renoncer à la défense contre les incursions nomades du sud de leur territoire.

Contre les Comans et les Russes

Franchissant le défilé de Derbend les Mongols ravagent le Chirvan puis rejoignent les steppes qui s'étendent au nord du Caucase. Après les pays agricoles de la Perse et les défilés du Caucase, les Mongols se retrouvent donc finalement sur un territoire qui rappelle étrangement la steppe mongole: mêmes horizons infinis, mêmes pâturages où l'on élève le cheval et le mouton.

Malgré ses aspects familiers pour les Mongols, cette contrée, le territoire des anciens Scythes, allait se montrer riche en périls. Face à eux, en effet, les envahisseurs voient rapidement s'y former une coalition des peuples de la région. Aux Alains, nomades irano-scythes de religion chrétienne orthodoxe se joignent les Comans ou Kiptchaks, nomades turcs non encore convertis à l'Islam ainsi que des montagnards du Caucase, Lesghiens et Tcherkesses.

Devant cette force redoutable, les chefs Mongols ont recours à la diplomatie. Entrant en contact avec les Comans, peuplade apparentée aux Mongols (ce sont des turco-mongols), ils convainquent ces derniers de trahir leurs alliés en échange d'une part de butin. Ensuite après avoir écrasé les Alains et les montagnards du Caucase, Djebe et Subotaï se retournent contre les Comans qu'il taillent en pièces. Quelques survivants parviennent néanmoins à s'enfuir en direction des principautés russes méridionales, autour de Kiev et de Kharkov.

De nombreux liens existaient en effet entre les russes et les comans. Ainsi, le grand duc de Souzdal et de Vladimir, au nord est de Moscou, avait épousé la fille d'un chef coman. Ainsi aussi, Koten, l'un des chefs comans, avait épousé la fille de Mstislav, le prince russe de Galitch, près de Kiev. Profitant de ces liens, les comans parviennent à convaincre les princes russes de leur venir en aide. Au printemps 1222, les princes de Kiev, de Tchernigov, de Galitch et de Smolensk joignent leurs forces aux Comans sur le Dniepr. Inquiet de ces développements, Djebe et Subotaï envoient une ambassade pour tenter de convaincre les Russes de retirer leur soutien aux Comans. L'exécution des envoyés mongols met une fin brutale aux négociations.

Au mois de mai 1222, l'armée russe, forte de 80000 hommes, part à la rencontre des Mongols. Pendant neuf jours, les Mongols battent en retraite. Puis, le 31 mai, au bord de la Kalka, un fleuve côtier de la Mer d'Azov, Djebe et Subotaï font arrêter leurs troupes et se mettent en position de combat. Surpris par cette manoeuvre et sans tenir compte de l'épuisement et de la désorganisation de leurs troupes après 9 jours de poursuite, les princes de Galitch et de Tchernigov chargent sans même attendre les troupes du prince de Kiev. Cette charge se change en déroute et le prince de Galitch prend la fuite. Les troupes du prince de Kiev qui n'avaient pas participé au combat sont ensuite encerclées. Après trois jour de résistance, le prince de Kiev accepte de déposer les armes en échange de sa liberté. Cependant, pour venger les membres de leur ambassade tués par les Russes, Djebe et Subotaï ne tiennent pas leur promesse et font massacrer le prince et tous les autres prisonniers. Etouffé sous des tapis, le prince de Kiev bénéficie cependant d'une mort honorable (aux yeux des Mongols) puisque son sang n'est pas versé.

Après cette victoire, Djebe et Subotaï envoient un détachement en Crimée. Soldaïa, le principal port de la région et l'un des grands centres du commerce génois des fourrures est incendié au passage.

Le retour vers l'est

Après tous ces succès que les chefs Mongols ne tentent nullement d'exploiter, après tout leur mission n'est que de reconnaissance, le moment est bientôt venu de repartir vers l'orient.

Plutôt que de reprendre le chemin de l'aller, Djebe et Subotaï décident de rentrer en contournant la Caspienne par le nord. Après avoir longé la Volga vers le nord, les cavaliers mongols s'attaquent au royaume de grande Bulgarie dans la région de l'actuelle Kazan. Ces bulgares, turcs musulmans, s'étaient enrichis par le commerce avec le monde islamique, principalement la Perse et le Charisme. Après une grande victoire sur l'armée de ce peuple, ils repartirent vers le sud et l'est, soumettant au passage le peuple Kangli, des turcs nomades.

Enfin, Djebe et Subotaï rejoignent Gengis Khan et son armée en 1223 au moment où elle s'apprêtait à rentrer en Mongolie.

On rapporte que lorsque Subotaï et Djebe se présentèrent devant Gengis Khan ils lui rapportèrent exactement le même effectif, 20000 hommes, que celui qui leur avait été alloué au départ. Les pertes, au demeurant limitées, avaient probablement été compensées par des recrutements parmi des populations apparentées aux mongols par le sang ou le mode de vie (Alains, Comans, Bulgares et Kanglis).

Après un périple de 8000 kilomètres, Djebe et Subotaï rapportaient à leur maître, outre un immense butin, ce qui ne gâtait rien, de précieuses informations sur les territoires de l'ouest. Lors de cette expéditions, les Mongols étaient aussi parvenus à faire le tour de la Mer Caspienne: aucun voyageur n'y était jamais arrivé auparavant.

Amphisbène