L'Alphabet Etrusque

En ce qui concerne l'écriture étrusque, elle fait appel à un alphabet directement dérivé du grec mais dont le déchiffrement n'en pose pas moins des difficultés qu'à ce jour on n'est pas parvenu à résoudre de manière entièrement satisfaisante. Le problème vient non des caractères utilisés pour l'écriture et dont la correspondance phonétique a pu être établie, mais de la langue retranscrite et qui conserve tout son mystère à nos yeux.

Compte tenu de la masse relativement importante de documents conservés, les difficultés rencontrées par le déchiffrement des textes tyrrhéniens peut surprendre. On dispose en effet de milliers d'inscriptions et, même si la plupart sont courtes et banales, il en est quelques autres d'assez longues: le liber linteus retrouvé inscrit sur les bandelettes d'une momie découverte en Egypte contient par exemple plus d'un millier de mots. Les documents connus sont répartis dans l'espace (en Etrurie, en Ombrie et même à Carthage ou à Alexandrie) et dans le temps (de 700 av JC au début de notre ère).

Sous sa forme classique, l'alphabet étrusque comprend 23 lettres dont 4 voyelles. Comme pour le grec, il s'agit en effet d'une écriture enregistrant intégralement tous les sons, c'est à dire, non seulement les consonnes comme en phénicien, mais aussi les voyelles.

L'histoire de l'alphabet étrusque peut être caractérisée par trois étapes majeures: durant une première étape les étrusques ont adopté pour leur propre usage une version occidentale de l'écriture grecque. Puis, peu à peu, ils ont adapté cet alphabet à leur langue, aboutissant ainsi à une seconde étape, celle de l'alphabet étrusque classique. Enfin durant une dernière étape, l'alphabet tyrrhénien est contaminé par celui des nouveaux maîtres romains de l'Etrurie à partir du IIe siècle av JC.

Les textes les plus anciens que nous connaissions sont des abécédaires comme celui de Marsiliana qui remontent à environ 700 avant notre ère. L'examen de ces abécédaires amène un certain nombre de remarques: celui de Marsiliana, par exemple, comprend 26 lettres dont 5 voyelles, rangée de droite à gauche. Cet alphabet comprend, intégralement reproduites, les 22 lettres de l'alphabet phénicien auxquelles s'ajoutent 4 lettres empruntées aux Grecs occidentaux.

La présence de ces 4 dernières lettres qui sont des innovations helléniques, tend à prouver que l'alphabet étrusque archaïque est un emprunt aux grecs occidentaux et donc ne dérive pas directement du phénicien. Néanmoins, on constate le maintien dans les premiers abécédaires étrusques de lettres phéniciennes (tel que le samek) qui ne figurent pas dans les alphabets grecs occidentaux qui sont parvenus jusqu'à nous. Il est donc probable que l'alphabet tyrrhénien descende d'un modèle plus archaïque que les alphabets grecs occidentaux que nous connaissons. On comprend donc qu'on ne puisse aisément attribuer à telle ou telle cité hellénique particulière, la paternité de l'écriture étrusque archaïque, celle-ci étant plus ancienne que les alphabets dont on voudrait la faire dériver. Comment affirmer avec certitude que les tyrrhéniens doivent leur écriture à Cumes alors que les alphabets étrusques conservent les trois sifflantes du phénicien (le samek, le sadé et le shin) dont, pour deux d'entre elles (le shin, lui, est devenu sigma) on ne trouve nulle trace non seulement dans les inscriptions de Cumes mais encore dans celle de Chalcis (dont Cumes était la colonie). On s'est même demandé si l'emprunt fait par les tyrrhéniens à l'alphabet grec occidental ne serait pas en fait antérieur à la colonisation grecque en Italie et s'il ne correspondrait pas au moment historique de la formation des alphabets grecs qu'on allait appeler occidentaux et orientaux.

Jusqu'au début du VIe siècle, l'alphabet étrusque allait demeurer quasiment inchangé. A cette date, le sens de l'écriture n'est pas fixé: certaines inscriptions sont orientées de gauche à droite et d'autres (comme l'abécédaire de Marsiliana) de droite à gauche.

La question de l'origine de l'alphabet étrusque est encore compliquée par l'existence d'écritures dites nord-étrusques qui, quoiqu'ayant servi à noter des langues indo-européennes, possèdent des caractéristiques (élimination des sonores B, C et D et de la voyelle O) qui laissent à penser qu'au départ elles auraient été utilisées pour l'étrusque ou une langue apparentée à l'étrusque. Or ces écritures quoiqu'apparentées à l'alphabet tyrrhénien pourraient bien ne pas dériver directement de l'alphabet étrusque archaïque. Malheureusement si une écriture étrusque distincte de l'alphabet archaïque a servi de modèle aux écritures nord-étrusques, il n'en subsiste aucune trace.

A partir du VIe siècle, en tout cas, l'alphabet étrusque archaïque connaît des évolutions afin de tenir compte des particularités de la langue et éliminer les lettres grecques ou phéniciennes sans emploi en étrusque. Vers 400 avant notre ère environ, il semble que toute l'Etrurie ait adopté l'alphabet étrusque classique.

Dans cette écriture, la lettre 8 est introduite pour noter la consonne f. A l'opposé, de nombreuses lettres sont abandonnées. Les lettres B et D sont délaissées car elles semblent avoir été confondues avec P et T. Le K est éliminé au profit de (noté progressivement C). Le O disparaît car il semble avoir fait double emploi avec U. L'étrusque, comme le grec, n'ayant besoin que d'une seule sifflante, le samek et le sadé disparaissent.

Au cours de son évolution, on constate une certaine tendance de l'écriture étrusque au syllabisme. Les gutturales phéniciennes (C, K et Q) sont assez longtemps conservées alors qu'elles n'y servaient à noter qu'une seule et même consonne. Mais pour distinguer ces lettres l'étrusque les spécialise en les associant à une voyelle particulière. C aura tendance à être utilisé avec E (CE), K avec A (KA) et Q avec U (QU). En fin de compte, cependant, le K et le Q finissent par être évincés par le C.

L'étrusque semble avoir fait appel à deux sortes de ponctuation. L'une, externe, servait à séparer les phrases et même les mots. L'autre, interne, était utilisée à l'intérieur des mots. On n'est pas parvenu à ce jour à expliquer cette dernière de manière satisfaisante.

En règle générale, l'écriture étrusque est dirigée de droite à gauche mais ce n'était pas une règle absolue car on trouve de nombreux contre-exemples. On peut même citer des cas d'écriture boustrophédon ou d'écriture en spirale.

Par la suite, avec la domination romaine et l'absorption de l'Etrurie par la culture de Rome, l'écriture dégénère peu à peu. On se met à écrire uniquement de gauche à droite puis on adopte les lettres latines. L'écriture, puis la langue elle-même, disparaissent.

En fait, tout comme leur origine, la langue des étrusques nous échappe presque entièrement. Sans doute les descriptions funéraires les plus banales sont à peu près comprises, mais devant l'ampleur de notre méconnaissance de la langue, le déchiffrement des inscriptions est malaisée. Si quelques racines du vocabulaire sont aujourd'hui connue, la grammaire étrusque nous échappe à peu près totalement. C'est la langue et non l'écriture qui constitue le principal obstacle au déchiffrement des documents dont on dispose.

Amphisbène