L'Ecriture Suméro-Akkadienne

Il n'y a pas une mais bien de nombreuses écritures cunéiformes. En effet, le terme cunéiforme ne désigne pas un système d'écriture mais l'aspect extérieur de textes se présentant comme des combinaisons de signes en forme de clous triangulaires, généralement alignés sur des tablettes d'argile. Ces signes étaient réalisés par un scribe frappant avec un roseau taillé en biseau sur une tablette d'argile fraîche. Cette tablette était ensuite mise au four, ce qui la durcissait et lui conférait une quasi-indestructibilité.

La grande diffusion du mode d'écriture cunéiforme ne doit cacher ni son adoption par des écritures de structure très variées (c'est ainsi que certaines inscriptions trouvées à Persépolis étaient en fait trilingues et rédigées dans trois systèmes d'écritures cunéiformes différents (achéménide, néo-susien et suméro-akkadien) ni le fait que certaines de ces écritures ont servi à noter des langues parfois très différentes les unes des autres (ainsi par exemple, l'écriture suméro-akkadienne a servi a transcrire non seulement le sumérien et l'akkadien mais aussi le khaldi et le hittite).

L'écriture suméro-akkadienne n'est donc qu'une écriture cunéiforme parmi d'autres. Elle n'en a pas moins joué un rôle central évinçant certaines écritures également cunéiformes (comme le protoélamite dès le XXVe siècle avant notre ère) et en suscitant ou en servant d'inspiration à de nombreuses autres (écritures élamite, achéménide et ougaritique).

A l'origine de l'écriture suméro-akkadienne on trouve une écriture idéographique probablement introduite par les sumériens en Mésopotamie dès le IVe millénaire. Cette écriture non cunéiforme comprenait au moins 2000 pictogrammes qu'on dessinait sur l'argile à l'aide d'au moins 2 instruments: un calame à l'extrémité longue et affilée pour tracer des lignes et un poinçon à bout rond pour les signes numériques. Les dessins constituant les pictogrammes utilisés durant la période de Warqa IV (au milieu du IVe millénaire) contrastent avec les alignements de clous qu'on verra par la suite mais n'en sont pas moins les ancêtres des signes cunéiformes suméro-akkadiens.

Cependant, pour aboutir au suméro-akkadien, un certain nombre d'évolutions seront encore nécessaires. Tout d'abord, l'écriture change d'orientation: de verticale elle devient horizontale. Ensuite afin d'accélérer le travail des scribes on remplace ses outils par un instrument unique taillé en biseau et permettant d'imprimer plutôt que de tracer dans l'argile: c'est la naissance de l'écriture cunéiforme. Enfin le système d'écriture connaît une évolution interne aboutissant à l'apparition du phonétisme.

Cette dernière évolution semble avoir été facilitée par les particularités de la langue sumérienne. Il semble que cette dernière ait compris nombre d'éléments monosyllabiques mais que ces éléments aient souvent eu tendance à s'agglomérer avec l'apposition de suffixes et d'affixes et de préfixes. Par ailleurs, le phonétisme du sumérien ne semble pas avoir été d'une grande richesse puisqu'on n'en connaît que 4 voyelles et 14 consonnes. Dans ces conditions, il devait exister un grand nombre de mots homophones (c'est à dire de même prononciation pour des sens différents). Sans doute la position des mots, leur contexte, ou peut-être même leur ton permettait-il de distinguer les homophones. Toujours est-il que ces derniers ouvraient la voie à l'utilisation du rébus (on retranscrit un mot avec le signe correspondant à un autre mot de même prononciation). Bientôt on note de cette manière les affixes et préfixes et autres suffixes. On commence à retranscrire les mots composés par des signes correspondant aux syllabes qui les constituent. Cependant, l'écriture suméro-akkadienne n'a pas pour autant évolué vers une notation exclusivement phonétique en raison des risques de confusion introduits par l'homophonie.

Une autre innovation est intervenue pour faciliter la lecture des textes sumériennes: l'introduction des déterminatifs. Il s'agissait d'un moyen de préciser le sens d'un mot. Suivant que le mot " charrue " reçoit pour déterminatif le signe de l'homme ou celui du bois, on peut savoir si on désigne le laboureur ou son outil de travail. On peut comparer les déterminatifs sumériens aux clefs chinoises.

L'histoire de l'écriture sumérienne allait être singulièrement compliquée par son adoption pour la notation de l'akkadien. L'idéogramme qui à l'origine dérive de la représentation d'un astre dardant ses rayons, désignait en sumérien le ciel AN mais aussi la valeur phonétique " an " correspondante. Chez les akkadiens, cet idéogramme conserve son sens de ciel (ce qui en akkadien se prononce samû) mais aussi sa valeur phonétique sumérienne (an) sans rapport avec sa nouvelle prononciation en tant qu'idéogramme. Par ailleurs, la complication est encore accrue par le fait que bien souvent plusieurs valeurs idéographiques sont associées au même signe sumérien ( veut dire " ciel " mais aussi " dieu " et " haut ", etc...).

L'écriture suméro-akkadienne combine donc toutes sortes d'éléments (des voyelles, des signes syllabiques simples constitués d'une voyelle et d'une consonne, des signes syllabiques complexes constitués de deux consonnes encadrant une voyelle, des idéogrammes et des déterminatifs). Malheureusement un même signe peut appartenir à plusieurs catégories et même avoir plusieurs valeurs au sein d'une même catégorie. Le signe peut ainsi avoir comme voyelle, la valeur " i ", comme signe syllabique simple les valeurs " ni " et " il ", comme signe syllabique complexe les valeurs " nis ", " zal ", " sal " et " tik " et comme idéogramme les valeurs " samnu " (graisse) et " barû " (être abondant).

On conçoit dans ces conditions que le déchiffrement d'une inscription rédigée en suméro-akkadien relève du casse-tête. La difficulté est encore accrue par l'absence de séparation entre les différents mots et le recours pour les idéogrammes à des compléments phonétiques susceptibles d'en changer complètement la lecture.

Malgré sa complexité, l'écriture suméro-akkadienne reste constamment utilisée du IIIe millénaire au Ier siècle de notre ère. Les archives diplomatiques d'Amenophis III et IV (qui ont régné entre 1405 et 1352) découvertes en Haute-Egypte témoignent de l'importance du rayonnement international de cette écriture au IIe millénaire. C'est en effet en caractères suméro-akkadiens que sont rédigées les correspondances de ces pharaons non seulement avec les rois de Babylonie, les Assyriens et les Hittites mais aussi avec leurs vassaux syriens et proto-phéniciens.

Amphisbène