Conflit militaire ou guerre économique?

Par bien des aspects, la guerre du Péloponnèse sera multiforme. Plus totale sans doute qu'aucun autre conflit que l'Hellade ait connu avant cette époque, elle est loin de se limiter au seul domaine militaire.

Lors du déclenchement des hostilités, la répartition des forces est telle que le seul recours aux armes des uns et des autres ne permet à aucun camp d'espérer une issue favorable à court terme. Lacédémone ne saurait même espérer pouvoir défier la maîtrise navale de sa rivale. Athènes de son côté ne peut mesurer ses forces terrestres à celles de ses adversaires.

La guerre sera donc de longue durée. Pour en supporter le poids, une politique financière adaptée sera donc nécessaire. Cette nécessité qui s'impose à Athènes dès le début du conflit finira même par toucher Lacédémone dont la constitution interdisait pourtant la monnaie. Les ressources financières étant acquises, il importe alors, pour éviter la défaite, à chaque camp d'assurer son approvisionnement en grains, et celui de ses alliés. Pour l'emporter, il s'agit aussi de tenter de mettre l'adversaire à genoux en coupant cette fois son approvisionnement céréalier.

En 431, la puissance financière d'Athènes repose sur son commerce - Le Pirée est devenu le premier port commercial de Grèce - mais aussi sur le φορος, le tribut versé par les alliés de la ligue de Délos pour n'avoir pas à fournir de marine de guerre à l'alliance. Ce tribut fixé à environ 450 talents par an avait permis de constituer une réserve disponible pour la conduite de la guerre. Avec l'épuisement des ressources de la cité, ce φορος allait en 425/4 être brutalement augmenté, en théorie à 1300 talents par an, mais dont seulement 1000 environ purent être perçus en raison des défections de certains alliés. Cette mesure allait avoir des effets néfastes en augmentant le ressentiment des alliés pour la domination athénienne. En 413, devant l'hostilité suscitée par l'augmentation du φορος, il est aboli et remplacé par une taxe de 5% sur toutes les transactions commerciales dans l'empire. Les négociants athéniens sont, bien sûr, exemptés. Cette taxe était supposée rapporter autant que l'ancien φορος, c'est à dire 1000 talents annuels. Dans les années qui suivent, certaines cités obtiennent un assouplissement de ces mesures comme la Chalcédoine en 409/8. En 409, la situation financière est si désastreuse qu'Alcibiade et Thrasybulle doivent prendre une nouvelle mesure dictée par le désespoir. Un impôt de 10% sur la cargaison touche désormais tous les navires sortant du Pont. Lorsqu'Athènes s'effondre en 404, la guerre archidamique entre 431 et 421 lui a coûté 16564 talents, l'expédition de Sicile en 415 et 513, 17000 talents et la phase finale du conflit de la guerre de Décélie (414-404) 12800 talents. Soit le total exorbitant de 46364 talents, soit l'équivalent de plus de cent fois le φορος annuel des alliés au début de la guerre. La cité est ruinée et ne s'en relèvera jamais tout à fait. A Sparte, au contraire, il reste des fonds sur les subsides accordées par la Perse pour la guerre. Xénophon rapporte que, la victoire étant acquise, Lysandre rapporte 460 talents à Lacédémone.

Au début de la guerre, Athènes possède la maîtrise des mers, aussi elle n'a pas de peine à suppléer aux destructions régulières de ses champs par des importations de grains. En 431, l'Eubée et le reste de l'empire devaient fournir une bonne part de l'approvisionnement de la cité de Périclès, probablement complété par des importations d'Egypte. Les sources font état de blé égyptien bien avant qu'il ne soit question de grains provenant des pourtours du Pont-Euxin. Compte tenu des amitiés de ses adversaires à l'ouest, il est peu probable qu'Athènes ait fait venir du blé de Sicile pendant la guerre du Péloponnèse. En ce qui concerne le Pont-Euxin, son rôle dans l'approvisionnement de la cité, probablement marginal au déclenchement des hostilités, prend de plus en plus d'importance. Après la perte de l'Eubée et d'une bonne partie de l'empire, la route du Pont-Euxin devient vitale. Les dernières années de la guerre consistent en lutte acharnée pour conserver le contrôle des détroits par où passe cette route. Après la défaite de l'Aigos Potamos en 405, les détroits sont perdus et avec eux l'approvisionnement de la Cité. La guerre est désormais irrémédiablement perdue. Les défenseurs d'Athènes devront se rendre pour éviter de mourir de faim.

Lacédémone elle-même n'était pas, à moins d'une révolte généralisée des hilotes, très vulnérable dans son approvisionnement. C'était par contre le cas de certains de ses alliés: Corinthe et Mégare. Au début de la guerre, les Athéniens effectuent de nombreuses incursions afin de ravager la mégaride. Ils tentent aussi depuis Naupacte un blocus du golfe de Corinthe qui priverait les corinthiens des approvisionnements en grains qu'ils tenaient de l'ouest. Ils installent aussi des messéniens sur la côte du Péloponnèse afin qu'ils soulèvent les hilotes contre Lacédémone. En fait, toutes ces opérations se révèlent inefficaces. En 415, pour couper l'approvisionnement des alliés de Sparte mais surtout pour satisfaire leurs ambitions, les Athéniens décident l'invasion de la Sicile. Cette opération se termine en désastre à l'Asinaros. Désormais, l'équilibre est rompu et Athènes se retrouve en situation d'infériorité. L'agonie de son impérialisme déchu durera encore neuf ans.

Amphisbène